'Victoria' de Sebastian Schipper (9/10)
5h42. Berlin. Sortie de boîte de nuit, Victoria, espagnole fraîchement débarquée, rencontre Sonne et son groupe de potes. Emportée par la fête et l'alcool, elle décide de les suivre dans leur virée nocturne. Elle réalise soudain que la soirée est en train de sérieusement déraper…
Film-phénomène précédé d’une excellente réputation, ‘Victoria’ est un film tourné en un seul plan-séquence de 2h15. La prouesse, sur le papier, est incroyable. Une seule prise, jamais de coupes dans l’image, et donc une performance saisie ‘en temps réel’.
On aurait pu penser que le réalisateur allait se reposer sur ce concept hautement accrocheur pour proposer un film un peu vain sans grande originalité sur le fond (ce qui était un peu le cas de ‘Boyhood’ l’an passé), mais heureusement, ‘Victoria’ est bien plus.
Loin d’une démarche tape-à-l’œil destinée à impressionner la galerie, ‘Victoria’ représente un jusqu’auboutisme vivifiant, rappelant souvent le cinéma de Gaspard Noé.
Loin d’être un concept creux, la notion de temps réel et de plan-séquence est ici au cœur du dispositif. On accroche l’histoire à 5h42 du matin pour ne la lâcher qu’à 7h56, en voyant tout ce qui se passe entre. ‘Victoria’ dégage une notion de vérité et de réalité incroyable puisque tout se passe en continu. Rarement au cinéma nous pouvons sentir cet instantané, cette idée que rien n’est écrit et que tout peut basculer dans n’importe quelle direction.
Car le film est en partie basé sur l’improvisation des acteurs, il se dégage une énergie proprement stupéfiante des images. Au fur et à mesure qu’avance la nuit, les comédiens se dépensent sans compter, se fatiguent, et livrent tous une performance incroyable, avec une mention pour l’actrice Laia Costa qui ne quitte jamais vraiment le cadre pendant les 2h15 de film.
‘Victoria’ est d’une ambition folle car on ne peut être qu’impressionnés par la réalisation qui enchaîne les lieux de tournage et les contraintes (scènes de fusillades, scènes de foule, scènes en voiture etc…) avec une force jamais démentie.
Le dispositif est casse-gueule mais tient parfaitement la route grâce à une rigueur qu’on imagine préparée bien en amont avant le tournage. ‘Victoria’ tire de ce plan-séquence quelque chose de formidable, à la frontière entre le film social, le reportage et le film de gangsters.
Ces contraintes folles ne vont cependant pas sans contrepartie. Tourner une seule scène en continu pendant 2h15 ne permet pas de faire un film parfait et c’est normal. Ainsi, le film accuse parfois quelques creux dans la narration et quelques longueurs.
Il faut aussi se faire à une image parfois trop mouvante et une définition sonore pas toujours optimale mais ces défauts sont presque inévitables quand on connaît les conditions du tournage.
Même si le film comporte certains défauts, ceux-ci n’obscurcissent jamais cette volonté incroyable de proposer un cinéma de l’instant ambitieux et novateur. Toute l’implication et l’énergie du réalisateur Sebastian Schipper et de ses comédiens est contagieuse, et on ne peut que saluer cette proposition de cinéma radicale et passionnante ! A voir absolument.