'Enemy' de Denis Villeneuve (8/10)
Adam, un professeur discret, mène une vie paisible avec sa fiancée Mary. Un jour qu'il découvre son sosie parfait en la personne d’Anthony, un acteur fantasque, il ressent un trouble profond. Il commence alors à observer à distance la vie de cet homme et de sa mystérieuse femme enceinte. Puis Adam se met à imaginer les plus stupéfiants scénarios... pour lui et pour son propre couple.
Denis Villeneuve s’est imposé en quelques films comme un réalisateur à suivre. Après les très bons et efficaces ‘Incendies’ et ‘Prisoners’, le réalisateur prend le risque de faire fuir une partie de son public pour un film beaucoup plus tortueux et casse-gueule.
‘Enemy’ ne laissera en tout cas pas indifférent. Dès le début, Denis Villeneuve convoque David Lynch pour nous livrer des visions fantasques et une ambiance angoissante à souhait. La photographie jaunâtre et réussie participe également à cette pesanteur, cette sensation que les images ne seront pas à prendre au premier degré.
Le film met du temps à démarrer, mais grâce à de magnifiques scènes et effets de montage, on comprend déjà le trouble qui habite le héros. Petit à petit, Denis Villeneuve insère le doute dans l’histoire : est-elle vraiment réelle ou une pure projection de l’esprit schizophrène du personnage principal ?
Grâce à des indices savamment distillés, le réalisateur apporte des réponses mais aussi d’autres questions aux spectateurs et on a toujours la sensation de manquer quelque chose ou d’être perdu dans le film. Cette sensation énervera certains spectateurs mais c’est une composante essentielle de l’œuvre et il est tellement rare de nos jours de voir des films qui osent nous perdre dans leur histoire que c’est une expérience réellement enrichissante.
Ainsi, au gré des séquences, par ailleurs très bien construites car allant toujours plus loin dans l’oppression et l’étrange, on cherche, on tâtonne une explication, et la frustration finale finira d’agacer ceux qui ne seront pas rentrés dans le film. ‘Enemy’ ne donnera pas de réponse toute faite et c’est ce que fait sa force et nous pousse à vouloir le visionner à nouveau, pour en saisir tous les détails et subtilités.
‘Enemy’ est donc un film beaucoup plus complexe et beaucoup moins évident que ce à quoi Denis Villeneuve nous avait habitués. Il trouve en Jake Gyllenhaal un acteur parfait dans ce rôle double et désorienté et montre un peu plus le talent de cet acteur discret mais talentueux.
Intriguant et intéressant de bout en bout, Denis Villeneuve joue parfaitement bien avec l’attente du spectateur et sa frustration et démontre un savoir-faire impressionnant dans la maîtrise du cadre et la construction de son film.
‘Enemy’ est donc un très bon film à analyser, à voir avec tous ses sens. Denis Villeneuve réussit son pari et nous fait plonger dans les méandres de son labyrinthe filmique grâce à des plans visuellement très efficaces et titille notre intellect et notre inconscient en convoquant le cinéma lynchien pour nous offrir une énigme savoureuse et soignée.